Le chaînon manquant d’un million de dollars entre la construction et l’exploitation

By Matthew Cramer | 24 avril 2020

Nous entendons trop souvent parler des nouvelles installations qui présentent d’importants retards, qui dépassent considérablement le budget ou qui sont touchées par des problèmes de démarrage. En effet, malgré la maturité de l’industrie, nous avons encore du mal à atteindre les taux de production prévus dès les premiers mois cruciaux d’un projet.

Dans de nombreux cas, une approche suffisamment solide de préparation opérationnelle, de mise en service et d’accélération graduelle (POMSAC) est le chaînon manquant entre la construction et l’exploitation. Il faut non seulement comprendre que la POMSAC forme un lien crucial, mais aussi qu’il s’agit d’une compétence spécialisée incontournable.

C’est le secret d’une mise en service impeccable qui permet d’éviter des pertes de millions de dollars en profits, et d’assurer la viabilité et la productivité à long terme des actifs essentiels.

La POMSAC est une approche entièrement intégrée des activités de démarrage qui utilise la planification à l’échelle des composants, des équipes compétentes et des outils numériques intégrés pour assurer une transition harmonieuse et sans défaillance entre les équipes de construction et celles de l’exploitation. Dans les articles précédents, nous avons discuté de ce qui constitue une bonne approche de la préparation opérationnelle, de la mise en service et de l’accélération graduelle, et des considérations les plus importantes pour réussir le transfert en la matière.

Les récents événements mondiaux nous rappellent que si la phase d’investissement et de construction des projets s’étend sur des années, la période d’accélération graduelle vers des activités durables et stables est extrêmement courte et vulnérable aux pressions externes et aux imprévus.

Cet article examine l’ampleur du problème dans l’ensemble de l’industrie, détermine dans quelle mesure nous n’y parvenons pas et combien il coûte à nos entreprises. Nous présenterons ensuite les conclusions tirées d’une vaste expérience sur ce à quoi ressemble une organisation de POMSAC réussie pour combler cet écart.

Quelle valeur perd-on lorsque la POMSAC est manquante ou insuffisante?

Un examen rapide des chiffres révèle des pertes stupéfiantes dans l’ensemble de l’industrie.

Ainsi, selon IPA Global1, 60 % des mégaprojets échouent, ce qui signifie qu’ils dépassent de 25 % ou plus le calendrier ou le coût estimatif du projet (dépenses en capital), ou qu’ils ne peuvent pas atteindre le fonctionnement à régime établi dans le mois suivant le démarrage.

Un article publié récemment dans The Chemical Engineer estime que le coût de l’importante proportion de projets qui accusent un retard au Moyen-Orient et en Afrique du Nord seulement s’élève à environ 3 G$ US par année.

Notre modélisation interne des coûts en fonction de projets de mine d’or de taille moyenne avec un investissement de 1 G$ suggère que la valeur actualisée nette (VAN) d’une exploitation moyenne peut être réduite de 9 % par rapport au cas de base dans un scénario d’accélération graduelle prolongée ou de construction retardée, et de 18,8 % dans un scénario de construction longue. Ces scénarios d’accélération graduelle trop courants entraînent des pertes opérationnelles de 38 M$ à 79 M$.

Même les modèles financiers les plus élémentaires démontrent la valeur financière et la génération anticipée de liquidités. Le perfectionnement des activités de l’entreprise à l’an vingt n’a aucune valeur pour l’investisseur initial. En effet, ce sont les années zéro à cinq qui décident du sort de la plupart des projets.

Pourquoi une POMSAC inadéquate fait-elle perdre autant de valeur?

Habituellement, la plupart des établissements considèrent un projet comme une collaboration entre deux entreprises. De ce point de vue, la première étape est la construction; la deuxième, l’exploitation, et la mesure dans laquelle elles fonctionnent ensemble est le résultat de la préparation opérationnelle, de la mise en service et de l’accélération graduelle.

Cependant, des années d’expérience dans un large éventail d’industries nous ont appris que cette compréhension ignore une troisième organisation pourtant essentielle. En effet, une approche de projet globale et appropriée comprend trois organisations indépendantes, mais interreliées. Les risques des première et dernière étapes – la construction et l’exploitation – sont éliminés par la formation de l’organisation intermédiaire. Cette organisation intermédiaire comprend un groupe entièrement distinct de personnes, de processus et de technologies dédiés uniquement à une transition et une accélération rapides. Il s’agit de la réelle préparation opérationnelle, mise en service et accélération graduelle.

Cela nous offre une vision claire des raisons pour lesquelles les projets d’investissement attirent d’abord les investissements. Les investisseurs recherchent de nouvelles installations ou à procéder à des agrandissements pour rendre le capital à l’entreprise. En fait, c’est la raison même de leur investissement : obtenir un rendement. La phase de construction vise à réduire les investissements et à resserrer le calendrier de construction afin de limiter les dépenses en capital. Les organisations d’exploitation cherchent à réduire leurs coûts et à augmenter le volume en éliminant les variations et en limitant leurs dépenses d’exploitation. Aucune de ces organisations n’est conçue ni structurée pour assurer un rendement rapide de l’investissement initial dans un environnement extrêmement dynamique. C’est là qu’une approche de préparation opérationnelle, de mise en service et d’accélération graduelle ciblée prend toute son importance. En effet, l’équipe responsable s’efforce de passer de l’achèvement de la construction à la pleine capacité le plus rapidement possible, sans compromettre la sécurité, l’environnement et la durabilité globale.

Les nouvelles activités continuent de perdre de la valeur tôt dans leur cycle, non pas parce qu’elles sont sous-performantes, mais parce qu’elles ne sont pas organisées pour répondre aux besoins des installations à ce moment. Il ne sert à rien d’engouffrer toujours plus de ressources et d’argent dans une dynamique vouée à l’échec – il n’est pas possible d’acheter du temps. La question est plutôt d’élaborer les bonnes structures et d’adopter les bons comportements, liens hiérarchiques, processus d’approbation, pouvoirs et compétences spécialisées bien avant que la construction soit terminée. Il s’agit de concevoir et de construire des installations faciles à mettre en service et à exploiter. Il s’agit enfin de mettre sur pied une équipe compétente, enthousiaste et motivée par les opérations.

Pourquoi la préparation opérationnelle, la mise en service et l’accélération graduelle doit fonctionner comme une organisation autonome

Il existe plusieurs raisons importantes pour lesquelles la réussite des activités de mise en service et d’accélération graduelle nécessite la formation d’une organisation indépendante.

  1. Compétences spécialisées. La POMSAC est un domaine d’expertise unique qui nécessite une équipe d’experts hautement qualifiés possédant des compétences spécialisées. Ni les équipes de construction ni les équipes d’exploitation ne possèdent les compétences nécessaires pour former leur propre organisation à l’interne. De plus, elles ont rarement la capacité de consacrer suffisamment de ressources à une conception adéquate de la mise en service et de l’accélération graduelle. Nos plus grandes réussites sont orientées par la POMSAC, et soutenues par du personnel d’exploitation et de projet.
  2. Reddition de comptes indépendante. La POMSAC exige la mise en place d’un ensemble distinct de rapports impartiaux axés sur l’objectif d’une accélération rapide. Il est important de se consacrer à cet objectif pour atteindre le bon équilibre. Pendant l’accélération graduelle réelle, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur un pouvoir d’approbation indépendant pour gérer les achats urgents, les changements de conception ou l’affectation des ressources. La nature dynamique des changements ne convient pas aux rôles et à la production de rapports opérationnels.
  3. Approche globale. Une organisation indépendante de POMSAC est précisément conçue pour s’attaquer à cette fonction critique de façon globale plutôt que fragmentaire. Une approche globale permet une planification initiale adéquate ainsi qu’une visibilité et un contrôle complets des activités nécessaires et spécialisées qui assurent le succès de la préparation opérationnelle, de la mise en service et de l’accélération graduelle. Aucun projet ne peut se conclure en une seule journée. Par contre, un programme intégré et bien structuré est destiné à réussir dès le premier jour.

Le succès d’une entreprise repose sur une optimisation de projet, une accélération graduelle rapide et une exploitation stable et soutenue. La gestion de ces objectifs conflictuels doit être prise en main dès le départ par une équipe intégrée provenant de trois organisations distinctes. Il y a de plus en plus de preuves que l’intégration hâtive de la POMSAC permet non seulement de soutenir le volet économique du projet, mais aussi, dans bien des cas, d’améliorer la viabilité globale d’un investissement.

[1] Industrial Megaprojects: Concepts, Strategies, and Practices for Success, Edward W. Merrow, Wiley, 2011.