Barrages hydroélectriques, changements climatiques et événements extrêmes

Rester optimiste, se préparer au pire

Par C. Richard Donnelly|Le 27 septembre 2016

Les experts affirment que 2016 s’annonce comme l’année la plus chaude de l’histoire. Il n’est donc pas surprenant que les changements climatiques et le réchauffement planétaire – des enjeux fondamentaux pour l’humanité – soient encore des sujets brûlants d’actualité.

La chaleur extrême est principalement attribuable aux variabilités naturelles. Des archives datant de près de deux siècles et des mesures issues des anneaux de croissance des arbres et des variations isotopiques des carottes glaciaires, par exemple, confirment que la fluctuation des températures comprend une forte composante cyclique. Il est à peu près sûr que les effets du réchauffement planétaire découlent de ces cycles normaux de réchauffement et de refroidissement. Et que la situation se poursuivra pendant les 20 prochaines années, au minimum. Néanmoins, les températures tendent à augmenter, lentement mais sûrement. Et, du moins en moyenne, sont plus élevées que celles qui pourraient être attribuables aux variations naturelles.

Alors, quelle est l’incidence des températures plus chaudes sur les précipitations et les niveaux d’eau? Personne ne le sait vraiment. Chose certaine, on ne peut plus se fier aux chiffres précédents pour faire des prédictions fiables. Si les variations sont beaucoup plus importantes que prévu, dans un sens comme dans l’autre, quelles en seront les répercussions sur nos barrages hydroélectriques? Ces structures massives dépendent de débits d’eau très précis pour produire de l’électricité de façon fiable et sécuritaire.

À la guerre comme en ingénierie, la règle d’or est de protéger ses arrières. En ce qui concerne les barrages, ils doivent être protégés adéquatement des événements climatiques extrêmes comme les inondations, les ouragans, les glissements de terrain et les débâcles glaciaires

Durée de vie du barrage et concept du risque

Le barrage de Proserpine à Mérida, en Espagne, a été construit au 1er ou au 2e siècle de notre ère. Il est encore utilisé par les agriculteurs locaux pour accumuler l’eau et irriguer leurs cultures. De nos jours, les barrages conçus pour produire de l’électricité ont une durée de vie d’une centaine d’années.

Dans le domaine des infrastructures, les estimations de durée de vie sont principalement basées sur les facteurs de risque et leur atténuation. Les ingénieurs, les financiers et les assureurs associés aux projets d’envergure comme les barrages hydroélectriques connaissent très bien ces concepts. Le risque concerne l’incertitude : la probabilité et les conséquences. Un événement hautement probable et susceptible d’avoir de graves conséquences est la définition même d’un risque élevé.

La gestion des risques concerne plutôt le déploiement prudent du capital. Pour les projets d’infrastructures majeurs et coûteux comme les barrages hydroélectriques, il est impossible de concevoir ou de prévoir en fonction d’un événement qui pourrait se produire ou non dans une centaine d’années. Les possibilités sont trop nombreuses et trop variées pour faire ce genre de prédiction avec une quelconque justesse. Le principe de la disproportion – et le bon sens – nous dicte ceci : si nous dépensons par exemple dix fois plus d’argent pour tenir compte du scénario le plus pessimiste que ce qu’il en coûterait pour réparer les dommages que causerait cet événement incertain, nous jouons à un jeu perdu d’avance. D’un point de vue stratégique, il est préférable de réfléchir à ce qui pourrait se produire et à concevoir un plan de remise à neuf pour la structure. Ainsi, le plan pourra servir à atténuer les dommages ou les conséquences lorsqu’il sera vraiment nécessaire de le faire.

Des risques pour certains, des occasions pour d’autres

Au cours des cent prochaines années, la fonte des glaces représentera aussi bien un risque qu’une occasion pour les barrages hydroélectriques. Dans certains cas, les évacuateurs de crue conçus aujourd’hui ou dans le passé ne pourront pas recevoir les débits d’eau si la fonte des glaces continue et s’intensifie. Nous devons évaluer le risque que cette situation se concrétise et prendre une décision. Concevoir un barrage pouvant être remis à neuf facilement avec un déversoir en forme de labyrinthe, par exemple, pourrait être une solution économique et viable.

Par contre, une plus grande quantité d’eau offre un plus grand potentiel de production d’énergie. Avec des turbines de capacité variable ou des turbines choisies avec soin, il pourrait être possible de poursuivre l’exploitation du barrage malgré l’augmentation importante des débits d’eau.

En Islande, mes collègues et moi avons effectué une étude pour le compte d’un promoteur de développement hydroélectrique qui considérait la construction d’un barrage alimenté par les glaciers, projet que nous avons d’ailleurs présenté lors du denier colloque de H.G. Acres. Dans ce cas, il a été recommandé que la centrale ait une capacité installée supérieure à ce que les débits historiques exigeraient, car la quantité d’eau issue de la fonte des glaciers augmente et devrait continuer à augmenter dans l’avenir. En choisissant des turbines à capacité installée variable, il serait possible d’exploiter efficacement la centrale même lorsque les débits diminueront.

Avec les températures plus chaudes vient également la sécheresse. Advenant qu’un tel événement se produise, l’eau excédentaire serait absorbée par le sol, réduisant ainsi les risques d’inondation. Une moins grande quantité d’eau circulerait dans les barrages, ce qui entraînerait du ruissellement, des inondations et une production d’énergie moins importants.

Des tempêtes plus fréquentes et plus violentes risquent de se produire si les prédictions sur les changements climatiques se réalisent. Ces tempêtes menacent l’intégrité des structures des barrages et la sécurité de ceux qui y travaillent. Bien souvent, il suffit de modifier légèrement les plans et les stratégies pour réussir à atténuer les dommages causés par ces événements.

Recherché : de l’électricité propre en abondance

Les pays et régions en développement comme la Chine, l’Amérique du Sud et le nord de l’Inde sont ceux qui ont le plus à gagner dans les nouveaux projets hydroélectriques. Mais leurs fleuves et rivières, surtout ceux au stade de jeunesse qui se trouvent dans des zones volcaniques ou tectoniquement actives, ont des apports solides élevés. Les débits peuvent varier énormément et modifier le modelé du terrain et le réseau hydrographique lui-même, présentant des risques graves pour les barrages. C’est également le cas des glissements de terrain et des changements d’affectation des terres, comme la déforestation et le transport. Les matières de la terre sont charriées par les cours d’eau et risquent de s’accumuler à proximité des barrages, empêchant la circulation de l’eau. Le pergélisol du Grand Nord peut aussi être affecté par le réchauffement. La fonte de cette couche de sol a une incidence sur le tassement différé et augmente le risque de fracturation hydraulique dans la section centrale des barrages en terre.

Peu importe leurs facteurs de risque et leurs faiblesses, les barrages hydroélectriques doivent clairement être protégés et entretenus dans le contexte des changements climatiques. Avec des ressources presque infinies en eau pour alimenter les turbines et des infrastructures pouvant durer pendant des décennies – voire des siècles –, les barrages offrent au cours de leur cycle de vie la source d'énergie la plus propre et la plus écologique sur Terre. Et ce sera probablement toujours le cas, si nous sommes prêts à réfléchir aux répercussions possibles des changements climatiques et à gérer prudemment les risques avec une conception novatrice et adaptative. 

Nos points de vue

D’autres discussions sur les défis les plus complexes au monde

D’autres billets de blogue